26 Février. Pas de permis, pas de Guinée.
C'est le bazar complet à la frontière, mais passeport et visa en poche, on entre confiants dans le bureau de la police, pensant être en règle. Et bien non, il nous manque le permis de conduire du vélo. Blague, c'est une blague ? L'arrogant d'en face n'en démord pas, il lui faut le permis de conduire des vélos pour entrer ! Il fait une chaleur du diable dans le burlingue, et l'autre qui nous sort sa phrase type en boucle. Un petit billet permettrait sans doute d'abréger les souffrances, mais on est coriaces aussi, on lui balance à chaque fois qu'on n'a pas de permis, en France, cela n'existe pas, tu vois, là ! Et il finit par lâcher prise. On ressort, transpirant de partout, et donnons nos premiers tours de pédale dans la poussière au milieu des véhicules, des gens, des charrettes à bras, tout ce monde qui essaie de se frayer un chemin. Au bout de quelques centaines de mètres, la circulation devient plus calme, bienvenue en Guinée !
80 bornes plus loin, à Siguiri, on retrouve cette ambiance frénétique poussiéreuse de motos, 4x4 et camions qui font le va-et-vient sur la route principale.
Cette activité s'explique par les gisements aurifères de la région. Il s'agit d'exploitations artisanales, on creuse un trou et on descend. Quand on trouve suffisamment d'or, on commence par s'acheter une moto chinoise, et parfois, on s'installe comme moto taxi. Si on a gagné beaucoup, on ne descend plus dans le trou, on achète un détecteur et on va rejoindre une équipe sur un site.
En ville, nous tombons par hasard sur un petit atelier de fonderie d'or, méthode archaïque, au charbon de bois ! Le minerai est mis en fusion pour récupérer l'or pur. Une fois refroidi, il est frappé sur une enclume de manière à augmenter la densité, donc les carats.
A l'hôtel (qui n'en a que le nom...), nous sympathisons avec le cuistot (qui n'en a que le nom...) et lui manifestons notre désir d'écouter de la musique. Il nous met en contact avec Ousmane Oularé qui vient nous chercher en moto pour nous emmener à une manifestation organisée par des femmes dans une cour privée : chants, danses, au rythme des djembés.
en transe !
Ousmane est un des fils (il y en a 34 !!!) de Fatouba Oularé, aujourd'hui décédé, qui fut un des meilleurs percussionniste de Guinée et qui a monté les « ballets africains » avec Sekou Touré.
J'irai dormir chez vous, bis
La route qui mène à Kankan n'est pas très intéressante, en tout cas en saison sèche. Nous circulons au milieu d'une savane arbustive et ne voyons pas grand chose à cause des poussières en suspension. C'est comme si on circulait dans un épais brouillard, mais un brouillard sec, chaud, et irritant pour la gorge et les bronches. Au bout d'une cinquantaine de kilomètres, on boit un coup dans un village de bonne importance et décidons de rester là, on en a assez pour la journée. Fofanaa, le prof de Chimie s'occupe de nous. Coup de fil au Principal du collège, en quelques minutes, tout est arrangé, nous sommes logés dans la plus belle maison du bled, chambre nickel bien meublée, clim, super salle de bains avec baignoire, lustres ostentatoires.
Le seul hic, c'est qu'il n'y a ni eau courante ni électricité. Nous proposons de faire le repas du soir : au petit marché, nous trouvons tout ce dont nous avons besoin, mais au moment de faire cuire, nos hôtes découvrent que la bouteille de gaz est vide....La ratatouille va donc mijoter au feu de bois. Tout le monde se régale, se resservant plusieurs fois en déclarant n'avoir jamais mangé de cuisine aussi douce. Le lendemain, crachant le feu en tentant d'avaler une soupe de viande, on comprend leur message : la « cuisine douce », c'est peut être bien une cuisine fade, pas assez épicée, pas terrible quoi !!!!
La visite du collège de Mr Keita
Au petit matin, Mr Keita, principal, nous emmène visiter le collège qu'il a réussi à créer dans les préfabriqués désaffectés d'une société de construction. Nous sommes présentés dans chaque classe. Heureusement, il n'y en a que 4. Discours à l'africaine, photos sous le drapeau...Le niveau scolaire est assez déplorable, et les filles peu représentées, l'enseignement est loin d'être une priorité. Une rapide observation du tableau noir met vite en évidence les lacunes des élèves, et hélas, de leurs profs...
Pas de rat dans l'assiette ce soir !
Aujourd'hui, ce sont des agriculteurs qui nous accueillent. Le chef du village est très gentil, mais n'est jamais allé à l'école et ne parle donc pas français. C'est son jeune frère, très diplômé en revanche, qui sert d'interprète. Mohamed, maitrise de géologie en poche n'a pas trouvé de travail (pas d'argent pour soudoyer quelqu'un....), il est donc revenu au village pour cultiver. Ils sont désolés, car ce soir, ils n'ont pas de viande au menu, le chasseur n'est pas passé et les enfants n'ont pas chassé le rat ! Pas grave, on se contentera d'un repas végétarien. Un bon repas d'ailleurs, riz sauce, patates douces. Nous venons à peine de terminer quand les enfants arrivent, triomphants, un rat à la main; On l'a échappé belle !!
Le matin le petit déjeuner est soft :bouillie de mil, ce n'est pas mauvais.
Reviens la France ! C'est à Kankan, 2ème ville de guinée que nous mesurons l'ampleur du désastre. Kankan, 2ème ville du pays est complètement décrépite, avec quelques restes d'établissements de l 'époque coloniale, tout le reste est de bric et de broc, pas de goudron, électricité quelques heures par jour quand tout va bien, produite par des groupes électrogènes. La Guinée est un pays ne possédant presqu'aucune infrastructure, et un réseau routier catastrophique limitant considérablement les déplacements pendant la saison des pluies. Il s'agit d'un des pays les moins avancés au monde.
Bref rappel historique : en 1958, De Gaulle propose aux colonies de l'AOF (Afrique Occidentale Française) d’adhérer à une Communauté Française.
La Guinée est le seul pays à refuser la proposition et devient immédiatement indépendante. Sekou Touré dira « Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’Indépendance. Il n’y a pas de dignité sans liberté ; nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » auquel De Gaulle répondra : « et bien, qu’il se débrouille tout seul à maintenir l’évolution moderne du pays.»
Dans le mois qui suivit, tous les fonctionnaires civils et militaires sont rapatriés, toutes les aides financières sont coupées.
Malgré des ressources très importantes, notamment en matières premières, le pays ne parviendra jamais à assurer le même développement que ses voisins. La succession pendant plus de 50 ans de régimes dictatoriaux, autoritaires et corrompus n’a pas été un atout. (après Sekou Touré, le pays était aux mains des militaires, une catastrophe...)
Si la perception de la France en tant qu’ancienne puissance coloniale est différente suivant les pays d'Afrique, en Guinée, le discours est quasiment unanime : revenez !!
Voilà donc ce qui explique quelques comportements quand les gens apprennent que nous sommes français. Ainsi, les gens sont extrêmement polis et on nous appelle souvent « patron ». La réaction la plus déstabilisante a été celle d'un homme sortant de la forêt qui s'est précipité pour nous saluer tout de go par un : « Blanc, patron, je t'aime » qui nous a laissé sur le cul.
La dope
En Guinée, le cyclotouriste est une denrée rare pour ne pas dire exceptionnelle. La présence de deux toubabs en vélos couchés chargés comme des mules et dont la date de naissance est antérieure à celle de l’année de l’indépendance du pays, étonne plus d’un !
D'où venez vous avec vos vélos ?
De France !
Éclat de rire, sifflement. ..
J'y crois pas !! Combien de km ?
6300 km
Claquement de langue, cris stridents montrant étonnement et admiration;
Oulàlà, mais nous les africains on peut pas faire ça !
Et pourquoi pas ?
On n'a pas la connaissance, et pis on n'a pas les médicaments !!!
Côté vélo.
Les vélos vont bien, malgré le peu d'entretien...Plus de 6000 km sans aucun problème, puis quelques crevaisons (4). Par contre, les crochets des sacoches cassent les uns après les autres (trop de soleil ?), sinon, RAS
Faire du vélo ici, c’est à coup sûr découvrir une nouvelle forme de pratique du cyclotourisme.Tôt le matin, il faut être sur sa monture, car à partir de10 heures, soleil et température rendent la chose compliquée. Par chance la température ne dépasse pas les 48°C sur le vélo et les pourcentages des côtes n’ excédent pas les 13%. Avec un savant dosage de courage et de ténacité, en ne craignant pas la marche à pied dans les grosses bosses et la poussière intense qu'il faut inévitablement avaler, on arrive tout de même à faire quelques kilomètres. Mais chaque soir nous sommes déçus de nos piètres performances. On pourrait penser que l'on est en forme, depuis le temps (bientôt 6 mois de pédalage), il n'en est rien, nous avons de la peine à parcourir plus de 50 kil par jour, notre corps doit commencer à fatiguer.
Si les routes étaient relativement plates jusqu'au Mali, en Guinée la donne change franchement, il y a du relief, c'est très vallonné, soit en goudron très abimé par des trous énormes, soit en piste, avec des trous itou. Mais le plus dur à gérer, vraiment, c'est la chaleur. En Mars, c'est infernal en haute Guinée, nous avons hâte d'être au Fouta Djalon, un massif montagneux, en altitude.
kissidougou, une ville poussiéreuse comme les autres, mais avec un bon hôtel. Nous y rencontrons Philippe et Nicole qui circulent en 2CV, aménagée pour dormir à l'intérieur. Un système bricolo et ingénieux, ils nous prédisent des souffrances à venir pour les routes de montagnes. Mais après Kissidougou, le revêtement est nettement meilleur, les km défilent enfin à une vitesse raisonnable, le moral revient au beau fixe et les efforts sont récompensés le soir dans les villages où l'accueil est toujours formidable.
C'est la seule bonne portion de route que nous avons eu en Guinée ! (on a fait au total plus de 1000 km)
Plus que les kilomètres, ce qui compte ici, ce sont les multiples rencontres et échanges d'idées. ce pays est resté si longtemps quasi fermé que la population est très heureuse de parler avec nous. Tous les sujets sont abordés, sans tabou, religion, polygamie, démographie galopante, politique...mais attention....ils ont encore du chemin à faire
A Faranah, nous posons la tente dans la concession de la famille Oularé, et passons 2 jours magnifiques à jouer du djembé avec de super musiciens , Sayo, Mamadi et petit Moussa. !! Ils se montrent très patients avec nous qui débutons... Pendant ce temps, des jeunes creusent un puits dans la cour, à l'ancienne, tout à la main...
Le repenti !
Nous apprenons qu'il est possible de voir des chimpanzés dans un centre de réhabilitation, mais nous sommes prévenus, la piste qui y mène est très difficile. Nous nous rendons à la gare routière de Faranah pour essayer de trouver une voiture. Nous concluons rapidement une transaction et partons avec 2 jeunes, le chauffeur et son apprenti. Le chauffeur demande une avance pour acheter le carburant, nous partons à la pompe. Le plein fait, nous entrons sur la piste. Quelques km plus loin,« petit cari » nous annonce qu'il ne connait pas bien le chemin, il préfère nous filer son pote Ismael comme chauffeur. Coup de fil, Ismael arrive en taxi moto, changement d'équipage. La piste devient horrible, des ornières énormes, des descentes et montées hypercaillouteuses, c'est plus que limite pour la voiture, il aurait fallu un 4X4 . Tout à coup, Ismael s'aperçoit qu'on a déjà presque plus d'essence ! Non ! Si ! Le proprio n'a pas fait le plein, il n'a mis que quelques litres avant de partir. Embrouille à l'africaine. Furieux, on téléphone à petit cari, il raccroche ! Pas grave, on trouve de l'essence de contrebande dans un petit village, et surtout on a sa bagnole, la tente, de la bouffe, on peut continuer ! Nous arrivons enfin au centre, où on nous explique qu'ici on récupère des chimpanzés capturés par des braconniers, vendus sur les marchés puis maltraités par leurs propriétaires et on leur essaie de réapprendre à vivre en brousse; le but étant de les relâcher dans la nature. Les détails du projet se trouvent ici. On salue le courage de cette équipe de passionnés français qui vivent au fin fond de la brousse, loin de tout, pour mener à bien ce projet. Nous passons une nuit paisible sous tente au bord du fleuve, et le lendemain, alors que nous rentrons tranquillement sur la piste défoncée, qui voit on arriver à l'arrière d'une moto taxi ??? Notre « petit cari », repenti et tellement inquiet à cause de notre non retour le jour même. Il se confond en excuses, rembourse l' argent de l'essence, et là, comme on n'est pas salops, on le laisse entrer dans sa voiture....On ne saura jamais pourquoi il nous a fait ce plan de merde...il nous a dit que sa tête avait disjoncté !!!
6 mois déjà !!!
6 mois pile poil se sont écoulés entre ces 2 photos.
7 Septembre 2013 : veille du départ, nous avons vidé la maison, bu l'apéro chez les voisins, nous mangeons une gamelle de pâtes avant de finaliser nos bagages !
7 Mars 2013 : nous n'avons pas été invités à boire l'apéro, mais des villageois de Guinée nous ont servi une bonne gamelle de mil !