• Enteteroulemaloute 5
  • 29 Avril 2017
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« Viens Bobonne, on va aller voir des gens aux conditions de vie extrêmes, ça va nous faire du bien de voir ça ! On se fera des selfies avec les mineurs, on les mettra sur facebook et Instagram :  Hashtag #KawahIjen sulphur#with poor minors#Yes we Did It # »

Indonésie, île de Java, volcan Kawa Ijen. Il y a 15 ans, nous sommes déjà venus visiter cette mine de soufre à ciel ouvert. Cette expérience nous avait tellement marqués que nous décidons d’y revenir, mais cette fois de nuit, pour observer les « blue fire » : le soufre qui sort du cratère à l’état gazeux s’enflamme et produit ces flammes bleues.

Nous nous doutons bien que les choses ont changé et que nous ne serons plus seuls, mais jamais n’aurions pu imaginer que ce soit devenu un parc d’attractions !

Hôtels de luxe se sont bâtis dans les petits hameaux avoisinants, pour satisfaire la demande croissante des touristes. Entre le tourisme de découverte, de luxe, et le voyeurisme monétarisé, la frontière est ténue.

Nous jetons notre dévolu sur la Kawa ijen guest house : en réalité nous sommes installés dans une chambre sommaire dans la maison même des propriétaires. C’est le fils ainé qui a pris cette initiative. Plutôt que de se ruiner la santé à travailler dans la mine, Eddy Mickey a monté cette petite affaire. Nous préférons de loin participer à cette forme de « tourisme équitable » plutôt que d’engraisser les proprios de villas avec wifi et piscines à débordement… Ces établissements, la plupart du temps tenus par des étrangers…promettent « un cadre calme et idyllique tout près du  somptueux Kawah Ijen ». Bien entendu, nul ne mentionne que sur les pentes du volcan, il vaut mieux être touriste, guide ou restaurateur que mineur !

2 h du matin : frontale sur le front, nous quittons le parking et suivons la procession déjà engagée sur le large chemin. Joco, notre guide, reluque stupéfait les longues jambes bronzées de la touriste en short ultra court qui roule des fesses sous son nez (on est en pays musulman, au village les fillettes portent toutes le foulard dès l’âge de 4 ans).

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Au bout de quelques minutes, on entend « taxi, taxi », et on se gare sur le côté pour laisser passer plusieurs chariots (qui servent à redescendre le soufre dans la vallée). Sur la pente d’au moins 20%, ils sont poussés par des mineurs qui incitent les fainéants à grimper dedans. Ils ont bien raison, cela paie plus de trimballer entre 50 et 80 kg de viande que 200 kg de soufre… De riches Indonésiennes ou Malaisiennes, maquillées et parfumées, monteront dans un taxi jusqu’au sommet du volcan. Pour s’épargner l’effort de la randonnée, elles vont chacune débourser une cinquantaine d’euros. A titre de comparaison, 100 kg de soufre extraits puis transportés sur plusieurs kilomètres sont payés 6 euros….

Nous laissons sur notre droite une cabane : il s’agit de l’ancienne cabane de pesée reconvertie en plateforme à touristes. Elle sert dorénavant de lieu de pause et de vente de boissons chaudes avant de partir pour la deuxième moitié du parcours.

Plus haut : maintenant devant nous un panneau de bois complètement pourri informe les touristes du danger de poursuivre leur chemin en direction du fond du cratère.

Que dis-je, il ne nous informe pas, il nous l’interdit, mais la plupart des gens descendent, en tout cas tant qu’il n’y a pas trop de nappes de fumées acides qui se déplacent au gré du vent. Ces vapeurs sont en effet hautement toxiques, causant troubles neurologiques, lésions oculaires et problèmes pneumologiques. L’espérance de vie des travailleurs est de 50 ans.

Notre guide nous suggère de mettre nos masques à gaz, et de bien rester derrière lui, sur ce semblant de chemin abrupt au milieu des éboulis qui descend dans les gorges de l’enfer. Nul besoin d’avoir un guide tellement le passage est évident, mais nous avons pris Joco pour lui donner un boulot et ainsi faire fonctionner le petit commerce.

Il faut parfois interrompre la descente quand nous croisons des porteurs qui remontent lourdement chargés (entre 60 et 80 kg sur le dos). Les paniers en osier sont fixés sur une longue canne qui leur entaille les épaules. Tous les porteurs portent les stigmates de la canne.

Nous commençons à entrevoir les flammes bleues, il faut attendre d’être tout en bas pour l’apothéose.

Kawah Ijen Blue Fire

 

La plupart des visiteurs bâclent 4 photos et remontent, malgré le masque, les vapeurs piquent un peu le nez et la gorge. Joco remonte avec Bastien, notre coéquipier. Nous restons au moins 1 heure en bas. Nous retrouvons Jori, que nous avons connu la veille en nous baladant dans les rizières. Il charriait de la paille de riz et nous avait filé une noix de coco. « Eh Jori, qu’est-ce que tu fais là ? » Il nous raconte qu’il est aussi mineur, mais qu’aujourd’hui, il a descendu un groupe. L’aubaine. Il est entrain de leur fabriquer des petites statues en faisant couler le soufre liquide dans une bassine d’eau froide. A ses pieds, c’est Mariono qui coule du soufre dans de petits moules, fleurs, petits animaux. C'est noius qui l'abordons : « Tiens, c’est mignon ce que tu fais, tu nous vends une petite tortue ? » (Comme si on avait que ça à faire, acheter des tortues qu’il faudra ensuite trimballer sur le vélo pendant des milliers de km). « Bon, allez, on t’en prend 3 ! ». Et puis, il y a les travailleurs qui piquent le soufre à coup de barre à mines. Le soufre coule, orange, il se refroidit, et quand il est froid, jaune, il est débité en plaques qui seront mises dans les paniers puis remontées à dos d’hommes.

Plus loin, Salim fait le même boulot, mais dans un lieu encore plus hostile, car davantage exposé aux vapeurs toxiques. Il travaille avec Oliono qui charge les plaques dans les paniers. « Salim, si tu as le temps de faire une pause, viens discuter un peu, on a des petits biscuits » Il arrête net son boulot de forçat. Biscuits, boisson, et on se tape la discut.

       « ça va, tu tiens le coup ? »

       « oui, ça va, c’est pas facile, mais faut bien bosser ! « 

       « Mais Salim, pourquoi tu ne mets pas ton masque ? »

       « Pas la peine, j’ai l’habitude, il m’embête plus qu’autre chose…et vous ça va, vous êtes d’où ? »

       « Nous, on est français, tu sais, le pays de Nicolas Hulot ? »

Salim n’était pas au fond du cratère en 1997, mais il a entendu le récit. Les hélicoptères, le tour en canoé sur le lac acide, et la distribution pour les porteurs : bottes et divers accessoires. Paraît même qu’il leur avait appris « Frère jacques » ! « Tu sais Salim, on a changé de gouvernement, Nicolas Hulot a gagné le gros lot, c’est maintenant notre ministre de l’environnement ». Salim rigole, (rigole pas, on y croit encore un peu…), des touristes canadiens que l’on connait nous rejoignent, on fait des selfies, vous savez, ceux de « Viens Bobnone » ! Salim et Oliono retournent à leur tâche , que dis je, à leur enfer...et nous, nous repartons vers le village dans un décor à couper le souffle (à couper le soufre ?)

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Bilan des courses :

Nous avons été un peu estomaqués par le comportement de certains visiteurs :

Et vas-y, je te prends le travailleur en photo, sans demander, ou en lui balançant quelques piécettes.

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Japonais prenant porteur en photo. Le con a raté son coup, il ne lui a même pas balancé le flash en pleine figure, du coup, ma photo est ratée aussi !!!

Et que je t’arrête et que je m’amuse à soulever ton panier, pour voir si c’est si lourd que ça.

Et que je te gêne en me mettant devant ta trajectoire, t’obligeant à faire quelques pas supplémentaires difficiles pour me contourner.

On a déjà parlé des nanas à moitié à poil en pays musulman….c'est pour quand la greffe de cerveau ?

Nous sommes surpris de voir que les conditions de travail n’ont guère changé en 15 ans. Si, une chose a changé : avant, les porteurs descendaient le soufre sur leur dos dans la vallée, alors que maintenant ils utilisent les chariots. Depuis 1968, c’est une société privée qui a le permis d’exploitation. Elle emploie les mineurs en freelance : ils sont entre deux et trois cents à être payés chaque jour au prorata de la quantité de soufre rapportée. La méthode d’extraction dans le cratère n’a pas évolué depuis le début de l’exploitation au début du XXe siècle. Il y aurait eu un projet d’installation de monte-charges mais il aurait été enterré sous prétexte que ça allait défigurer le paysage classé « parc naturel ». 

Des rumeurs laissent entendre que ce sont les patrons chinois qui bloquent l’amélioration des conditions de travail par désintérêt, ou même que ce serait totalement volontaire en vue d’accroitre le tourisme. Une chose est certaine : les mineurs ont compris le truc, essaient de tirer un peu de sous des visiteurs et trouvent là un bon moyen d’arrondir leur fin de mois,  ils ont bien raison.

Au fait, ça sert à quoi le soufre ?

Apparemment, dans sa majeure partie, il est utilisé pour des cosmétiques, mais aussi pour les engrais, insecticides. Il sert aussi à blanchir le sucre. Vous y penserez en buvant votre café !

Maintenant, voici à quoi cela ressemble ces blue fire . Vous savez qu'en cliquant sur les petites photos, elles s'agrandissent ?

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