• Enteteroulemaloute 5
  • 29 Avril 2017
  • 20171218 134510   Copie 2

Il y a des noms qui exhalent un parfum d’aventure et suffisent à déclencher le rêve : Casamance, Tombouctou, Niokolo Koba. En Tanzanie, Zanzibar et ses épices, le Kilimandjaro et ses neiges éternelles. Depuis octobre 1889, date de sa première ascension, le « Kili » sonne aussi comme un défi pour tous les amateurs de montagne. Plus qu’une montagne, le Kili est un mythe.

« Compie tourna la tête et sourit en montrant quelque chose du doigt et là, devant eux, tout ce qu’il pouvait voir, vaste comme le monde, immense, haut et incroyablement blanc dans le soleil, c'était le sommet carré du Kilimandjaro ». Ernest Hemingway dans sa nouvelle “Les Neiges du Kilimandjaro”

Trop touristique, trop encadré, trop cher, nous avions jusque là décidé de boycotter ce sommet. Pourtant, alors que nous sommes au Kenya, un concours de circonstances nous amène à franchir la frontière pour nous lancer sur ses pentes. (Il nous reste un peu de temps, on a sous la main Sammy qui est tout heureux de nous mettre dans les pattes de son équipe tanzanienne à Moshi)

Trop touristique, trop encadré, trop cher, nous maintenons ce point de vue, mais sommes néanmoins ravis d’avoir foulé le toit de l’Afrique et vous en proposons le récit. 

Il existe cinq voies « classiques » pour rejoindre le Kibo, le plus haut des volcans du Kilimandjaro. La voie Machame, ou « Whisky way », est l’une des plus sportives mais elle permet aussi une adaptation progressive à l’altitude, en 4 jours et demi. C’est celle que nous choisissons. La descente, par la voie Mweka, prend un jour et demi.

Jour 1. 23 Juillet 2016. A la porte Machame, 1800 m, c’est la foule et l’agitation propre aux grands départs. De nombreux trekkeurs se pressent devant un guichet. C’est là que nous devons nous inscrire et annoncer notre entrée officielle dans le parc. Prénom, nom, âge, adresse, numéro de passeport, nom de notre guide africain… tout doit être indiqué dans le moindre détail. Ceci deviendra un rituel que nous répéterons chaque jour, à chaque arrivée au camp, la progression des groupes de trekkeurs étant très contrôlée. Et puis c’est à la porte Machame que nous devons nous acquitter des droits d’entrée, un choc pour le porte monnaie.

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Des centaines de porteurs sont là, en file indienne. Ils posent leur paquetage sur une balance. Il doit peser 20kg, ni plus, ni moins. Si ce n’est pas le cas, le responsable allège un sac et en alourdit un autre. Boites de conserve contre rouleaux de papier toilette, sachets de thé contre pastèque. Avant de partir, à ces 20kg, les porteurs ajouteront leurs effets personnels. Nous sommes stupéfaits de voir que pour nous 2 , on nous octroie......7 porteurs ! Nous n’avons aucun pouvoir de décision, tout est minutieusement orchestré, on nous a prévu, en plus d’une grande tente perso, deux matelas, une tente mess, une table et des chaises. Nous qui avons l’habitude de voyager light...

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Top départ. Nous progressons sur un chemin facile dans une forêt luxuriante où les arbres sont recouverts de mousse et de lianes qui pendouillent mollement. Nous observons quelques spécimens de singes, mais le spectacle est aussi parmi les trekkeurs. Des coréens tout de Gore tex vêtus, alors que le thermomètre flirte avec les 30 degrés. L’inévitable groupe d’israéliens qui n’a rien trouvé de mieux que de balancer dans leurs enceintes portables une musique patriotique qui résonne dans toute la montagne. Un type arrêté au bord du chemin, occupé à tailler des semelles en carton dans la boite pack lunch d’un porteur. Sa femme, les pieds à l’agonie, attendant les dites semelles

L’arrivée au camp Machame nous met le moral en berne. Camp poussiéreux en diable, surfréquentation, tentes collées les unes aux autres. Mais qu’est ce qu’on fout dans cette galère ? Trop tard pour avoir ces états d’âme, nous voilà embarqués.

Jour 2. La dense forêt est définitivement derrière nous. La végétation de bruyères et de maquis devient plus éparse.

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Vers midi, l’arrivée à Shira camp se fait dans un semi brouillard, mais après le repas, une surprise nous attend : le sommet du Kili est sorti des nuages et se dresse pour la première devant nous. Il semble proche, mais puisqu’il nous faudra encore 3 jours pour l’atteindre, c’est qu’il est encore bien loin.

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Le camp est plus joli que le précédent, beaucoup plus aéré. Shafii, le guide, propose une balade pour nous occuper. On s’en passerait bien, nous préférerions flemmarder dans nos sacs de couchage douillets…mais c’est bon pour l’acclimatation, alors vas-y pour la petite marche.

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Jour 3. Nous nous élançons sous les premiers rayons du soleil.

Pole pole (doucement doucement), c’est la clef de la réussite. Plus la matinée avance et plus la végétation se raréfie, nous atteignons maintenant un désert alpin et ouvrons notre pack lunch au pied de la Lava Tower à 4600 m. Puis, c’est la descente au camp Baranco, 3900m. Avant le camp, des sénéçons géants, une espèce de plantes endémiques, semblent saluer notre passage.

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Jour 4. Au matin de ce 4ème jour, une falaise de 300 mètres de dénivelé nous toise. Elle est entièrement à l’ombre, et comme il faut mettre les mains, on se caille les doigts sur le rocher glacé. Son surnom est « Breakfast wall » parce que certains y laissent leur petit déjeuner … De gros oiseaux noirs se chargent du nettoyage. Devant nous, un jeune porteur pas bien à l’aise se débarrasse de sa table et de ses chaises avant de s’agripper au rocher. Shafii lui donne un coup de main, « c’est son premier voyage au Kili ». Pauvre jeune, voilà un drôle de bizutage. 

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Une pause réconfortante nous attend sur une plate-forme naturelle, en plein soleil. Nous en profitons pour regarder le ballet des porteurs. Tous les jours le même rituel : partis chaque matin environ une heure après nous (le temps de déplier les tentes, de ranger le camp…), ils nous rattrapent en cours de route et nous dépassent chaque fois avec un sourire, un signe, une parole d’encouragement. Certains ont repéré que nous étions français et nous glissent les quelques mots qu’ils connaissent : bonjour. ça va ?comment tu t’appelles ? Ils sont tous bien lestés de leur paquetage, plus ou moins singulier selon s’ils transportent un sac à dos, une bouteille de gaz, un gros cabas sur la tête ou des chaises pliantes autour du cou….Ils sont toujours en train de galoper, avec une agilité surprenante. La plupart sont très jeunes, et leur courage suscite l’admiration. Ce n’est pas sans nous rappeler les photos de S. Salgado montrant les mineurs du Brésil grimpant ou descendant de longues échelles mal foutues avec de lourds seaux de minerai sur la tête.

Aujourd’hui, à Karanga, on nous sert un repas chaud : des frites ! Nous nous plaquons contre la baraque pour les déguster bien à l’abri du vent. Nous nous remettons en route, un dénivelé de 700 m nous attend encore. Ce repas me pèse sur l’estomac. Frites bien grasses et salade de poivrons, le duo gagnant pour gerber en montagne. Vais je devoir nourrir les gros oiseaux noirs ? Que nenni, le corps humain est bien fait, il sait qu’il doit conserver son carburant. Oublier frites, oublier poivrons, penser à tout autre chose et continuer à avancer. Tiens, nous croisons 3 de nos porteurs. Que se passe t’il ? Bigre, il faut qu’ils redescendent de 700 m de dénivelé pour aller chercher de l’eau. Du coup, quand ils nous apportent la cuvette d’eau tiède pour la toilette quotidienne, on est vaguement mal à l’aise. On leur dit de la garder pour la soupe. Comme chaque soir, nous sommes servis comme des coqs en pâte. Lorsque nous arrivons à l’étape, nous pouvons nous affaler direct dans la tente déjà montée. Les matelas et oreillers ont été installés, le thé ne tardera pas à être servi, avec petits biscuits et pop corn salé. Puis on nous priera de poser notre séant dans la tente restau où un bon repas rechargera nos batteries. Le cuisinier fait des prouesses, surtout quand on voit les conditions avec lesquelles il travaille en montagne. Après le diner, nous sommes prêts pour le dodo, souvent avant 20 h. “Lala salama” (faites de beaux rêves). Pour nos amis africains, la journée n’est pas finie, reste la vaisselle. Premiers levés, derniers couchés, tout ça pour gagner fifrelo. Alors, si vous venez au Kili, n’oubliez pas les pourboires, c’est ce qui permet à ces braves gens de tenir le coup, les porteurs sont hyper exploités par les agences qui oublient souvent, au moment de les payer, qu'il existe un “tarif syndical”.

Jour 5. A 11 h du soir, branlement de combat dans le camp Baraful, 4600m. Nous entendons les guides de la plupart des groupes sonner le rassemblement dans les tentes restau pour un rapide petit déjeuner. A minuit pétantes, ils s’ébranlent tous dans le noir en direction du sommet, pendant que nous nous rendormons tranquillement. A 3 h 30, c’est à notre tour de nous élancer. Nous avons “négocié” cette heure de départ avec Shafii et Allan, l’aspirant guide. “C’est ça ou la grève” qu’on leur a dit !

On se retrouve vite entrain de crapahuter sur des dalles, puis à travers des rochers, cahin caha, d’une démarche mal assurée. Ce n’est pourtant pas le moment de s’étaler. La nuit est noire, le froid mordant, il nous mord surtout les mains et un peu les pieds. Il doit faire dans les -15°C, mais sommes nous toujours lucides ? Le vent est fort. Pas question de s’arrêter pour boire ou grignoter, on gèlerait sur place, alors on y va, gauche droite, gauche droite.... Economisant nos forces, les paroles se font rares. Au bout d’un moment, la soif me taraudant, je tente d’aspirer 3 gouttes d’eau. J’aspire comme une malade. Maudite pipette, elle est gelée. Maudite soit la terre entière. Au loin, des frontales signalent la présence de plusieurs groupes qui progressent lentement. “Vous allez voir, on va les croquer un par un” annonce Shafii. Dès lors, nous sentons bien qu’il augmente sensiblement la cadence, mais pour l’instant, nous tenons le choc, nous avons le mont Kenya dans les pattes, c’est un énorme avantage. On commence par rattraper et doubler la sympathique famille de belges. Ils ont sans doute abusé des frites. Puis c’est le tour d’une grosse équipe hollando allemande. Calme toi Shafii, les autres sont vraiment loin, hors de notre portée. Un point lumineux apparait enfin à l’horizon et au fil des minutes, la lueur embrase le ciel. Le peintre a mis beaucoup de rose dans sa palette. Il faut reconnaitre qu’un lever de soleil, c’est beau. Si on n’avait pas fait les fortes têtes, nous aurions fini de souffrir et nous serions au sommet maintenant. Bien fait, z’aviez qu’à être obéissants. En réalité, nous jubilons, on ne s’est gelés que pendant 3 heures, et pas 6 ! Et puis, un lever de soleil, c’est beau n’importe où, pas besoin d’être perchés sur un sommet. Mon esprit divague et je revis des levers de soleils magnifiques au Maroc, en Mauritanie, et même à Thoiry ! De plus, je n’ai jamais trouvé très fun de marcher avec une frontale sur le crâne. Maintenant que le jour est levé, plus besoin de baisser le museau pour voir où on pose les pieds. Nous pouvons enfin contempler ce qui nous entoure, ce qui rend la marche plus excitante. La vue est totalement dégagée et on peut imaginer ce qui se passe là bas au loin, imaginer les maassaï drapés dans leur couverture à carreaux, guidant leurs troupeaux dans les plaines infinies. Tiens, le sol devient sablonneux, et la pente se redresse méchamment. Veiller à ne pas trop déraper, gagner de la hauteur, surtout ne pas en perdre. Shafii nous annonce que nous ne sommes plus qu’à 400 m du sommet. La joie ! Nous ne pensions pas avoir autant avancé. On a dépassé le Mont Blanc depuis longtemps. Et si on fêtait ça ? Allan sort le grand thermos. Un peu de thé bien chaud et bien sucré, un Mars, et ça repart ! Ce sera notre seule pause pendant tout le trajet (1300 m de dénivelé). Les mollets sont maintenant bien chauds eux aussi, le souffle se fait court, ne pas oublier de respirer, l’apnée à cette altitude, cela ne vaut rien, alors, respire, bien à fond, sinon, l’apoplexie te guette. C’est ainsi que notre équipe se hisse jusqu’à la Stella point, (5 750 mètres), lieu de convergence de toutes les voies qui mènent au sommet. Nous sommes au bord du cratère. C’est une première victoire.

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Nous récupérons un couple chinois qui arrive de la “Coca cola road” (ou voie Marangu). Un de leur concitoyen redescend avec un masque à oxygène sur la tronche. Il nous reste un peu plus de 100 m de dénivelé, sur un terrain des plus agréables, une crête plutôt douce à grimper. A main droite le cratère, à main gauche neige et glacier, et le Mont Meru qui sort des nuages, c’est magnifique.

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Nous sommes privilégiés, d'ici quelques décennies, les neiges éternelles ne seront plus présentes qu'à travers des récits de randonneurs, et feront alors partie de la légende du Kilimandjaro... En haut d’une petite côte apparaît soudain, à une centaine de mètres, le célèbre panneau qui marque le sommet : Uhuru peak, 5895m. Uhuru veut dire liberté en Swahili.

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L’arrivée nous emplit d’une joie immense. Nous sommes sur le toit de l’Afrique ! Si on m’avait dit qu’un jour je répondrai à l’appel d’Uhuru… Nous tombons dans les bras des uns et des autres, nous et nos 2 acolytes. Une vague d’émotion nous submerge. Il s’en faut de peu pour qu’on ne lâche une larme. 5 jours de marche pour arriver à ce but, ce n’est pas rien, tout de même ! Mais ce n’est pas le moment de faire les beaux, ce n’est que de la marche, il n’y rien d’héroïque à être là. Ce sont nos amis africains qui peuvent être fiers, ce sont eux les héros. Ne perdons pas de vue que sans la collaboration de tous les membres de l’équipe, sans le courage exemplaire des porteurs, les “muzungu” (les blancs) n’iraient pas bien loin ! La jeune femme chinoise qui baragouine 3 mots d’anglais insiste pour poser sur une photo avec nous. Des européens, ça doit avoir quelque chose d’”exotique” pour des chinois. Ensuite, elle rejoint son ami pour aller installer le drapeau de l’Empire du milieu sous la pancarte sommitale ! Au cours de notre descente, qui arrive en face ? Le groupe hollando teuton. Dans la bande, certains font peine à voir, tête baissée et trainant les pieds. Nous les encourageons, ce sera dûr, mais au point où ils en sont, cela vaut le coup de s’arracher un peu.

Qui des autres équipes ?

Nous avons croisé le groupe d’ Israéliens surexcités un peu avant le sommet, l’altitude a du bon, ça les a un peu calmés. Nous ne savons pas si les Coréens Gore texisés l’ont atteint. Par contre, la femme aux semelles en carton y était, on en est sûrs, puisqu’il s’agissait de moi.

Aujourd’hui 27 Juillet 2016, il semble que le taux de réussite pour la voie Machame ait été de 80%, ce qui est vraiment très bien. En effet, selon les statistiques fournies par le Parc National, seulement 55% des candidats parviennent jusqu’au pic Uhuru (moyenne toutes voies confondues). Nous sommes cependant un peu déçus, notre nom ne figurera pas dans le Guiness book. Nous ne sommes pas les plus vieux à avoir gravi le Kili. Le record est détenu par un Français, Daniel Valtée, il a réussi l'ascension à l'âge de... 87 ans ! Quant au record féminin, ce serait une russe de 86 ans. C’était il y a 2 ans.